Figurer la dystopie pour éclairer l’utopie : une fonction de l’exemple historique

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Emmanuelle Danblon, "Figurer la dystopie pour éclairer l’utopie : une fonction de l’exemple historique", dans Paola Paissa et Loredana Trovato (dir.), Argumentation & Analyse du Discours [En ligne], 16, 2016.

Résumé :
Dans cet article, on analyse la dystopie comme la mise en récit de l’EH comme dans sa fonction de guide vers une utopie. Les figures de l’énigme et de l’amplification sont analysées ici à partir de deux cas particuliers qui entretiennent un rapport différent à la mémoire orale.

Extrait :
"Alors il semble, et même il devient certain que l’espérance est justement ce par où l’obscur s’éclaire. L’espérance loge dans l’obscur lui-même, elle participe de son opacité, de même que l’obscur et le secret furent apparentés ; elle menace de disparaître si elle se dresse trop près, trop droit dans cet obscur.
Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie (trad. fr. 1977, p. 245)
Je commencerai cette contribution sur l’exemple historique en reprenant une réflexion bien connue de la rhétorique délibérative d’Aristote, à partir du passage suivant : « Denys aspire à la tyrannie puisqu’il demande une garde ; autrefois, en effet, Pisistrate, ayant ce dessein, en demandait une, et, quand il l’eut obtenue, il devint tyran » (Rhét., I, 2, 1357b).
L’auteur de la Rhétorique étudie l’exemple (paradeigma) du point de vue de ses vertus persuasives. Il se fonde en particulier sur un topos, principe rhétorique essentiel, qui guide l’utilisation du paradeigma : « Les arguments par les fables sont plus faciles à se procurer ; mais les arguments par les faits historiques sont le plus utile pour la délibération ; car le plus souvent l’avenir ressemble au passé » (Rhét. I, 2, 1394a). Ce qui va retenir mon attention ici est le caractère historique de l’exemple, source potentielle d’analogie, dans laquelle Aristote perçoit le cœur de la persuasion, avançant cet argument : « car le plus souvent l’avenir ressemble au passé ».
Je me pencherai plus précisément sur l’importance, dans la mémoire orale de la communauté, de l’événement historique, mémoire qui constitue dans ce cas la condition de la persuasion. C’est d’ailleurs la façon dont on peut comprendre le commentaire d’Aristote sur l’exemple historique de Denys qui aspire à la tyrannie : il y a eu d’autres cas semblables dans l’histoire mais celui de Denys se suffit à lui-même parce que tout le monde l’a bien en tête. En d’autres termes, le caractère exemplaire de l’événement historique, qui fera de lui un bon candidat au paradeigma, n’est pas fondé sur un quelconque critère de validité. Il est lié à la place qu’il occupe dans la mémoire de la communauté. Une fois ce critère « mémoriel » admis, la qualité de l’EH sera mise au service d’une décision que l’on espère utile pour la communauté. La visée argumentative au sens de Ruth Amossy (2012) est bien une décision qui sera qualifiée d’utile du fait que l’auditoire pourra effectuer une comparaison, ou mieux, une analogie, entre le cas historique et celui qui fait débat aujourd’hui. Et bien sûr nous sommes fondés à appliquer l’analogie en nous appuyant sur le topos « le plus souvent l’avenir ressemble au passé ». Il importe donc que l’événement passé soit bien présent dans la mémoire de la communauté, pour qu’il puisse offrir des éléments précis (dans le cas de Denys, le fait de demander une garde) qui se transformeront en indices, supports de l’analogie. Si l’analogie est acceptée (ce qui n’est jamais garanti), la décision coulera de source. En d’autres termes, la mémoire de la communauté portant sur un événement du passé permettra de servir de support à une décision politique, dont l’utilité s’imposera avec une force de persuasion non négligeable. Voilà pourquoi Aristote conseille à l’orateur d’utiliser l’EH, même s’il est plus rare (donc plus difficile à trouver) que l’exemple tiré de la fable."

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The Prophetic Function
05 October 2015 - 27 November 2015
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Emmanuelle Danblon
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Linguistics
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