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Jean-Louis Etienne, parrain de la promotion 2023-2024 de l'IEA de Paris

09 oct 2023 18:00
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Médecin, grand explorateur et écrivain, Jean-Louis Etienne nous fait l'honneur d'être cette année le parrain de promotion de nos chercheurs en résidence.

Jean-Louis Etienne a pu rencontrer les Fellows de l'IEA le 09 octobre 2023, à l'occasion de la soirée de rentrée, au cours de laquelle il a prononcé un discours très personnel, mobilisateur et porteur d'enseignements, à retrouver au bas de cette page.

Etaient également présents notre présidente Bettina Laville, ainsi que les universités et écoles partenaires et membres de l'IEA : le CNRS, l'Université Paris I Panthéon Sorbonne, l'EHESS, l'EPHE-PSL, l'ENS, la FMSH, l'Inalco, Sorbonne Nouvelle, Sorbonne Université, l'Université Gustave Eiffel, l'Université Paris Cité, l'Université Paris-Nanterre, et l'Université Paris-Saclay. La Ville de Paris était quant à elle représentée par l'adjointe en charge de l'enseignement supérieur, de la recherche et de la vie étudiante, Marie-Christine Lemardeley.

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Promotion des chercheuses et chercheurs de l'année 2023-2024 avec leur parrain, Jean-Louis Etienne. Institut d'Études Avancées, Paris, France, 9 octobre 2023.

Discours de Jean-Louis Etienne

Thank you Bettina, madame la Présidente, for this opportunity to be the godfather of this new class of Fellows globally-recognised in the field of the humanities and social sciences. It's a real honor for me.

But I am sorry, for those who have some difficulties in French, I will feel more comfortable sharing a few words in French with the floor.

Chers Fellows, vous avez fait de brillantes études et votre cursus universitaires répond aux exigences du prestigieux Institut d’Études Avancées de Paris ce dont je vous félicite, avec tout mon respect.

Je suis d’autant plus sensible à cet honneur qu’il m’est fait d’être votre parrain, que mon parcours est très décalé en comparaison avec vos brillantes études dont j’ai pris connaissance.

En quelques mots, j’ai commencé par une formation professionnelle dans l’usinage des métaux à l’âge de 14 ans. Cet apprentissage a été une voie de reconquête dans mon intérêt pour la scolarité et un gain de confiance vers de nouvelles ambitions. Après un bac mathématique j’ai fait des études de médecins et un internat en chirurgie, où j’ai retrouvé avec passion l’exercice du geste manuel en médecine. J’adorais l’ambiance du bloc opératoire, l’intensité de l’action, la concentration sous scialytique.

J’étais sur une trajectoire hospitalière constructive et passionnante, mais une envie profonde a ressurgi, née de mon enfance à la campagne où je passais du temps dans la nature à m’inventer des défis, des expéditions virtuelles qui nourrissait mes rêves d’enfants, volontiers à la marge du monde.  

Interne en chirurgie, j’ai proposé mes compétences de médecin au service d’expédition ce qui m’a permis de participer à quelques formidables aventures : la course autour du monde à la voile, la face Nord de l’Everest, des expéditions en Patagonie, au Groenland, la traversé l’Antarctique à traineau à chien en équipe internationale et bien d’autres,.... jusqu’à ce qu’à 40 ans je décide de m’engager dans une aventure personnelle, atteindre le pôle Nord en solitaire, une ambition dont j’avais sous-estimé la tâche.

Après 63 jours de marche sur une banquise chaotique et dangereuse, dans un froid glacial et une immense solitude, en 1986 il n’y avait ni GPS ni téléphone, j’ai atteint l’axe de rotation de la terre. Il n’y a rien au pôle Nord, car la banquise dérive et se renouvelle sans cesse.

Debout sur ce point immatériel où les méridiens de tous les pays se rejoignent, heureux et accompli après cet engagement jusqu’au bout de moi-même, j’ai écrit sur mon journal de bord : « Désormais j’imaginerai et monterai mes propres expéditions. Désormais je ferai vivre mes rêves et je les partagerai ».

J’ai alors quitté l’exercice de la médecine pour me consacrer à l’organisation d’expéditions polaires.

De ce chemin personnel et de toutes les expéditions que j’ai réalisées, j’ai tiré plusieurs enseignements que je voudrais partager avec vous.

Tout d’abord, je vous assure qu’on ne repousse pas ses limites, on se découvre. On est capable de performances que l’on ignore de soi, tant qu’on n’y a pas été confronté.

Vous avez un brillant parcours et face au panel des opportunités qui vous seront faites, sachez vous accorder l’audace d’abandonner ce que vous avez acquis pour de nouvelles explorations. Les expériences enrichissent la trousse à outils de l‘existence.

N’hésitez pas à cultiver vos envies, une envie comme une perspective, un horizon, un désir récurrent, profond, une forme d’ancrage biologique qu’il faut nourrir. Car l’envie est un moteur de sa réalisation personnelle. Mais l’envie, le rêve ne sont pas synonymes de facilité, il faut y consacrer du temps, du travail, de la persévérance.

Osez, oser c’est engager son imagination au-delà des certitudes.

Un projet hors-norme n’est pas irréaliste, il se situe au-delà de la frontière où vous accompagne l’expert. Il faut avancer toutes les antennes dehors pour capter tout ce qui peut le nourrir, l’enrichir.

Si l’on fait cette part du chemin, la vie fait le reste pour vous. C’est ainsi que le hasard des opportunités s’organise.

Aussi loin que je puisse voir en me retournant sur ma vie, je me rends compte que tous mes choix décisifs ont été guidés par un impérieux besoin de laisser libre cours à mes envies, mes idées. On n’est jamais aussi bon et efficace que sur son chemin.

Je me suis accordé la liberté d’inventer ma vie.      

Et cette liberté ne se gagne pas sur les autres, elle se gagne sur soi, sur ce qu’on est capable de s’imposer. Dans les moments de doute, de découragement, faire remonter le rêve à la surface pour résister à la tentation de l’abandon. 

Aujourd’hui il n’échappe à personne que l’Humain, ce mutant surdoué de la création, atteint progressivement les limites de la civilisation carbone qu’il a créée. Notre civilisation s’est déployée avec talent depuis l’invention de la machine à vapeur alimentée par la combustion du charbon. Cette invention majeure va se développer rapidement pour le transport et le soulagement de la pénibilité humaine.

Dans une accélération prodigieuse de l’exploitation massive des ressources fossiles, tant pour l’énergie que la pétrochimie, nous avons pris en un siècle possession des espaces et des espèces, et à quel dessein ?

Le chantier de la décarbonation dans lequel nous sommes engagés est colossal, planétaire. Nous avons conscience de la situation et l’intelligence des solutions. Les solutions son comportementales et technologiques.

Comportementales dans ses choix citoyens, une sobriété constructive sur trois éléments qui conditionnent nos vies – l’énergie, l’eau et la nourriture - et technologiques dans la production et le stockage d’énergies décarbonées.

A nous tous d’avoir l’audace et la tolérance pour les mettre en œuvre. Chacun doit être efficace sur sa zone d’influence, chacun se doit d’y participer activement en investisseur de la solution.

Dans cette période où des manifestations écologistes caricaturales, voire extrémistes, prennent le pas sur le bon sens, dire au peuple qu’il faut changer de paradigme, c’est être assuré de son incompréhension et de perdre son adhésion. Se mettre au service de l’humanité c’est avant tout produire un discours pédagogique, cultiver l’adage de Jean Jaurès dans son discours à la jeunesse en 1903 : « Aller à l’idéal tout en comprenant le réel ».

Chers fellows, vous qui représentez une élite de tous les coins du monde, cultivée, agile d’esprit, il est temps de restaurer un positivisme de l’inconnu, aussi soyez des explorateurs, des explorateurs engagés de votre temps pour être les acteurs du monde de demain.

(Vidéo du discours à venir prochainement)

09 Oct 2023 18:00
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